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J'ai un faible pour “Souvenirs d'Enfance d'Evariste Galois”. Je l'ai écrit dans l'enthousiasme et la naïveté, en exactement quinze jours, à Deauville en 1972.

J'entretenais une relation péri-philosophique particulière avec Deauville depuis une dizaine d'années, ayant été conseiller scientifique de Georges Breuil, qui avait tenté de bâtir un Centre International de Sémantique Générale (rebaptisé Centre International de Généralisation) sur le mont Canisy qui domine la ville. Les bâtiments, des fermes normandes traditionnelles déplacées de toute la région, l'ont peuplé mais n'ont jamais abrité les universités et les multinationales auxquelles ils étaient destinés. Par contre, la sémantique générale d'Alfred Korzybski est restée un de mes outils de base. De nouveaux événements remettent le sujet à l'ordre du jour. Voir mon blog.

Par ailleurs, avant même d'avoir entamé ma première analyse, j'avais accumulé des réflexions et des notes sur les rapports entre la psychanalyse et les mathématiques depuis plusieurs années et j'étais prêt à les mettre rapidement en forme. Pour ne pas déborder sur un ouvrage philosophique épais et indigeste, je m'étais volontairement imposé une limite de lieu et de temps.

J'avais convenu de livrer le texte à Luc Thanasecos, libraire-éditeur à L'impensé Radical, rue de Médicis. Le fait d'être marié à une psychanalyste aurait pu lui donner le courage de me publier. Il n'en a rien été : il s'est dérobé, sous la pression des normaliens mathématiciens qui constituaient la majeure partie de sa clientèle de joueurs de Go. Il avait raison commercialement, puisque par la suite plus aucun de mes amis mathématiciens ne m'a reparlé, allant même jusqu'à prendre garde de ne plus être sur mon chemin. Il ne fut pas le seul à se dérober : quand plus tard, le livre paru, je le donnai à François Le Lionnais, il n'osa même pas en discuter avec moi, alors que nous avions de bonnes relations, puisqu'il m'invitait à parler de mes autres livres dans son émission La Science en Marche sur France Culture. Tous ces braves gens me pouvaient pas même mentionner mon texte, ne serait-ce que pour le réfuter ou le critiquer.

Mon ami Raphaël Sorin n'était pas victime de ce blocage freudien et grâce à lui je pus sortir de ce contexte. Il me présenta à André Balland, qui me fit rencontrer Jean Gourmelin, dont il avait édité plusieurs ouvrages, nous suggérant de travailler ensemble. L'accord a été immédiat. Jean avait déjà des dessins qui collaient au texte, j'avais des idées de dessins qu'il trouva intéressant de réaliser et il en imagina d'autres lui-même. Nous construisîmes ainsi une sorte de BD de réflexion, que André Balland publia en 1974. Trente-quatre ans plus tard, à l'occasion d'une rétrospective Jean Gourmelin à la Bibliothèque Publique d'Information de Pompidou, Vuibert en a sorti une nouvelle édition, remise en pages par François Forcadell et complétée d'esquisses de Jean, qui éclairent son travail. Le livre existe aussi en eBook.

Aujourd'hui, il est bien sûr tout à fait convenable de s'intéresser à la psychologie des mathématiques et des mathématiciens. Certains auteurs vont même très loin, comme Pierre Cassou-Noguès avec sa fascinante étude : Les démons de Gödel. Kurt Gödel pensait, comme moi que les mathématiques sont des phénomènes que nous observons dans notre propre pensée. Il postulait l'existence d'un "troisième oeil", virtuel, nous permettant l'observation directe de nos abstractions internes. L'usage intense de cet oeil n'est pas sans danger. Kantor, Gödel et bien d'autres ont poursuivi leurs recherches mathématiques au péril de leur santé mentale. Chaque mathématicien doit trouver son équilibre personnel. Je peux comprendre les réticences de ceux des années soixante-dix devant un jeune aventurier comme moi, sans diplôme sérieux, proposant de les remettre en question.